Manger trop sainement n’est pas … sain

Manger trop sainement n’est pas … sain

07 septembre 2022

De plus en plus de personnes souffrent de problèmes physiques causés par une alimentation déséquilibrée alors qu’elles s’imaginent justement manger de façon très saine. Les superaliments et autres modes alimentaires constituent-ils une menace ?

Gare aux graisses et au sucre ! On nous rebat sans cesse les oreilles à ce sujet. À raison bien évidemment car l’obésité demeure un énorme problème de santé publique dans notre société. Mais aujourd’hui, au service Nutrition clinique et Diététique, nous constatons qu’un nombre croissant de personnes virent vers l’autre extrême. Elles sont tellement obsédées par une nutrition saine que leur corps en subit des effets pervers. Nous parlons dans ce cas d’orthorexia nervosa (obsession nutritionnelle). Leurs motifs sont totalement différents de ceux des personnes souffrant d’anorexie, mais au final le résultat est le même.

Une trop grande attention portée aux fruits et aux légumes

Il ne s’agit pas toujours, loin de là, de personnes qui suivent un régime végan ou cétogène, il s’agit plutôt de cas extrêmes. Ce sont souvent des gens qui font une fixation sur les fruits et les légumes. Qu’ils ne mangent pas de viande rouge, je peux le concevoir, mais exclure également la volaille et le poisson, c’est problématique. Vous ne pouvez pas bannir comme cela les protéines, les sucres ou les acides gras essentiels de votre alimentation. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont dits ‘essentiels’. Votre corps en a besoin et vous devez ingérer ces matières via l’alimentation.

La baisse de fertilité … un effet négatif parmi d’autres

C’est par hasard que nous avons repéré certaines de ces personnes. L’une des conséquences négatives d’une alimentation trop saine est en effet la baisse de fertilité (je reviendrai dans un instant sur le pourquoi). L’histoire a commencé comme suit. Les couples qui connaissent des difficultés à concevoir peuvent s’adresser à un centre spécialisé afin de bénéficier d’un traitement de fertilité. Pour ce faire, la femme doit avoir un BMI (indice de masse corporelle) situé entre 18,5 et 30 (ou 35 dans certains centres). Si le BMI n’est pas compris entre ces valeurs, les chances de succès sont nettement moindres. Nous avons voulu, au sein de notre service, examiner si nous pouvions aider, via un accompagnement nutritionnel, les personnes présentant ce type de BMI ‘anormal’ afin qu’elles puissent répondre aux critères d’admission. Dans le cadre de cette étude FerMet – le nom est inspiré des mots ‘fertilité’ et ‘métabolisme -, nous avons constaté qu’environ 10 % des participants souffraient d’insuffisance pondérale (donc d’un BMI trop faible) et le reste de surpoids. Le poids en tant que tel n’est toutefois pas un bon paramètre. La composition corporelle, et surtout le rapport entre la masse graisseuse et la masse musculaire, est beaucoup plus intéressante.

Les 47 personnes ayant un BMI trop faible pesaient en moyenne 48 kg, dont en moyenne 8 kg de graisse soit 16 % du total. Chez une personne normalement constituée, ce pourcentage oscille entre 19 et 34 %.  Cela peut paraître paradoxal, mais avoir trop peu de graisse est un réel problème. La graisse n’aide pas seulement à garder le corps à bonne température ; elle contient aussi de nombreuses hormones et elle joue un rôle important dans notre système immunitaire.

Trois catégories de personnes maigres selon la composition corporelle

Au cours de cette étude, nous avons occasionnellement rencontré des cas de personnes qui avaient un bon équilibre entre la masse graisseuse et la masse musculaire et ce, malgré un faible BMI. Dans ce cas de figure, une femme reçoit immédiatement le feu vert pour entamer le traitement de fertilité. Vous avez en effet parfois des gens qui sont naturellement minces de constitution – constitutional lean dans le jargon – et qui sont en parfaite santé. Leur faible BMI est alors dû à un taux métabolique au repos élevé, que nous avons effectivement mesuré pendant l’étude. Cela signifie qu’ils brûlent naturellement beaucoup de calories.

Par ailleurs, il existe encore deux autres catégories de personnes maigres. Les danseurs et les athlètes d'endurance ont également tendance à avoir un BMI faible, mais ils ont proportionnellement plus de muscles. Ils brûlent aussi énormément de calories car ils font beaucoup d'efforts. Ils sont toutefois sensibles aux refroidissements car leur système immunitaire est affaibli par une masse de graisse plus restreinte.

"Un métabolisme au repos bas combiné à un faible BMI ? Il y a de quoi s’inquiéter !"

Quant à la troisième catégorie, il s’agit de personnes qui ont à la fois trop peu de graisse et trop peu de muscles proportionnellement à leur taille. Si elles présentent en plus un métabolisme au repos bas, il y a de quoi s’inquiéter. C’est peut-être le signe que leur corps réagit à un déficit alimentaire chronique en entrant dans une sorte d’état d’hibernation. C’est surtout cette troisième catégorie de personnes qui a suivi et suit encore chez nous un trajet nutritionnel. Nous avons découvert que ces femmes suivaient souvent un régime déséquilibré. Nous leur avons en effet demandé de tenir quotidiennement un journal alimentaire et nous avons constaté qu'elles consommaient en moyenne trop de protéines, un peu trop de graisses, mais surtout pas assez de sucres. Et je ne parle pas ici de sodas, mais d’une quantité trop réduite de pain, de pâtes ou de pommes de terre.

Lire la suite sous la photo.

Ne laissez pas votre corps entrer dans un état d’hibernation

C'est une évolution assez inquiétante. Car une composition corporelle déséquilibrée n'est pas seulement néfaste pour le système immunitaire et l'équilibre hormonal. Lorsque le corps entre en état d'hibernation, la respiration et le rythme cardiaque ralentissent et la pression sanguine diminue. Vous vous sentez souvent fatigué, apathique ou vous êtes pris de vertiges. Les muscles s'affaiblissent également, y compris le muscle cardiaque, avec à la clé, dans les cas extrêmes, un risque d'insuffisance cardiaque. Sur le plan psychique, les problèmes de concentration et de mémoire ainsi que la bradypsychie (lenteur de la pensée) sont relativement fréquents.

Consultez la pyramide alimentaire

Une masse d'informations sur l'alimentation saine est évidemment disponible sur Internet. Mais ce qui est vrai pour certains ne l'est pas pour tous. Il est clair que les superaliments tels que les baies de goji, les graines de chia et les germes de blé ne suffisent pas. Ils peuvent être un élément constitutif parmi d’autres d'une alimentation saine, mais seuls ils ne sont pas suffisants. Vous avez également besoin de sucres et de graisses (saines). Mon conseil le plus important ? Examinez votre situation personnelle, votre taille, votre activité physique, et sachez que votre poids ou votre BMI ne disent pas tout. Informez-vous via des canaux scientifiquement reconnus comme gezondleven.be et consultez régulièrement la pyramide alimentaire. Et si vous pensez qu'une adaptation de votre régime alimentaire est nécessaire, faites mesurer votre composition corporelle et votre métabolisme ou consultez un diététicien pour obtenir des conseils, même si vous n’allez le voir qu'une seule fois. Mieux vaut passer une demi-heure chez un diététicien que 20 heures sur les réseaux sociaux.

« Les superaliments ne sont qu’un élément d’une alimentation saine, ils ne suffisent pas à eux seuls. »

Vous pouvez améliorer votre composition corporelle !

Il y a du positif : vous pouvez changer les choses. Grâce à des conseils nutritionnels appropriés, vous pouvez assez facilement retrouver une bonne composition corporelle. Pour en revenir brièvement à l'étude FerMet : les 47 personnes que nous avons accompagnées ont gagné en moyenne 18 % de masse graisseuse, ce qui leur a suffi pour être autorisées à participer au traitement de fertilité. Par ailleurs, le fait que la composition corporelle soit mesurée à ces fins est une première mondiale et nous avons pu présenter les résultats de notre étude au congrès de l'ESPEN (Société européenne de nutrition clinique et de métabolisme) à Vienne.

40 % des personnes que nous avons accompagnées sont aujourd'hui enceintes, alors que le taux de réussite d'une grossesse chez les personnes ayant un BMI initialement favorable lors d'un tel traitement de fertilité est de 30 à 33 %. En d'autres termes, le corps des personnes que nous avons accompagnées est devenu un meilleur « nid » pour la fécondation d'un ovule et la croissance d'un bébé en bonne santé. Et cela en quelques semaines à peine !

Tout article publié sur le blog de l’UZ Brussel reflète uniquement l’opinion de son auteur.

Pr Elisabeth De Waele Pr Elisabeth De Waele
Pr Elisabeth De Waele
Chef du service autonome de Nutrition clinique et Diététique
Chef de département au service de Soins intensifs
Elisabeth De Waele est membre du conseil d’administration de la Société européenne de nutrition clinique et de métabolisme depuis 2018. Son travail scientifique est axé sur la recherche clinique sur le métabolisme et la nutrition chez les patients gravement malades, oncologiques et chirurgicaux. Elle a déjà publié une centaine d’articles dans des revues évaluées par des pairs et elle donne fréquemment des conférences en direct ou virtuelles lors de symposiums internationaux et nationaux. Elle est également professeur à la Vrije Universiteit Brussel et à l’Erasmus Hogeschool Brussel, où elle enseigne aux étudiants en médecine, aux pharmaciens et aux diététiciens en formation.

Le respect est inscrit dans l’ADN de l’UZ Brussel. Il joue donc un rôle central dans les réactions aux informations ou aux blogs. Nous sommes ravis de connaître votre opinion et restons ouverts à vos suggestions ainsi qu’à vos questions, mais vous demandons de respecter quelques règles simples. Seules les réactions qui respectent ces règles seront approuvées et publiées.