Financement des soins de santé: cela fait longtemps que nous avons perdu le Nord !

Financement des soins de santé: cela fait longtemps que nous avons perdu le Nord !

19 janvier 2023

Commençons par les faits : il n'existe pas de système de soins de santé qui fonctionne parfaitement. Que l'on considère le modèle américain capitaliste extrême ou l'ancien modèle communiste soviétique (qui existe toujours en grande partie), la liste des défauts de ces deux modèles serait plus longue que la Bible. Pour le dire simplement, la bonne médecine américaine n'atteint qu'une minorité de la population, tandis que le communisme (soins médicaux théoriquement accessibles à tous) ne fournit en fait qu'une mauvaise médecine à tous. Et même les systèmes intermédiaires n'apportent pas de solution. On continue à frapper sur la même pierre dure avec un marteau en caoutchouc. L'approche de la crise des soins de santé doit être totalement différente. Pour y parvenir, nous devons toutefois commencer par reconnaître les causes des problèmes.

Entre les extrêmes des modèles américain et soviétique, plusieurs pays ont opté pour différents modèles "non extrêmes" dans le but (du moins le prétend-on) de rendre l'excellente médecine accessible à tous. Bien qu'il s'agisse d'un objectif très honorable, les actions appropriées pour l'atteindre font défaut. La raison ? Parce que les moyens financiers constituent la priorité absolue dans toute la discussion. Une excellente médecine pour tous, mais qui ne devrait rien coûter ! Depuis l'introduction du troc, puis de la monnaie, chacun sait que la qualité coûte de l'argent. Vous recevez une pomme pourrie gratuitement, mais vous devez payer pour une pomme fraîche. Et si vous ne disposez pas des ressources nécessaires, vous pouvez tout simplement oublier la pomme fraîche.

L’approche de la crise dans les soins de santé doit être totalement différente. Mais pour ce faire, nous devons reconnaître les problèmes et nous pencher sur les problèmes à l’origine de la situation actuelle.

Trois erreurs classiques reviennent toujours.

1. Tous les aspects liés aux soins sont mis dans le même panier

Le financement d'un bâtiment et d'un équipement suit un modèle complètement différent (fiscal, technique) de celui du financement des revenus des infirmiers, des médecins et des services logistiques. Dans les modèles actuels de financement "non extrême" des soins de santé, et certainement dans le système belge, aucune distinction n'est faite entre ces différents éléments.

Le fait que l'un dépende de l'autre est clair : sans infirmiers, les médecins ne peuvent pas effectuer d'opérations, il n'y a pas besoin de bloc opératoire, ni de laboratoire, ni de personnel technique ou de nettoyage. Sans infirmiers, vous pouvez fermer l'hôpital immédiatement.

Mais cela vaut également pour les médecins, le personnel logistique ou les bâtiments dans lesquels ils travaillent. Et pourtant, ‘les institutions sont les personnes, pas les bâtiments’. Financer les bâtiments et les équipements sur le même modèle que le personnel n'est pas un bon mode de financement. Le bâtiment n'a pas besoin d'incitants pour rester en place, seulement d'entretien. Le personnel, par contre, en a besoin. Un fonctionnement sans incitants peut être acceptable dans une phase initiale. Mais si le personnel ne reçoit pas d'incitants, il cherchera très probablement un autre emploi ou sera relégué dans la catégorie du personnel démotivé au sein de l'institution. Et malheureusement, la démotivation reste la principale source de burn-out.

2. Continuer à proposer un mauvais modèle de financement pour le personnel

En termes simples, nous connaissons deux modèles de rémunération des travailleurs de la santé : la rémunération à l'acte et le salaire fixe. Certains affirment que le modèle de ‘rémunération à l'acte’ favorise la surconsommation. Et cela peut être vrai, mais cela peut aussi être corrigé. Cependant, les gens ne réalisent pas qu'un système de salaire fixe fait exactement le contraire : il favorise la sous-consommation. Et par ‘sous-consommation’, j'entends ‘faire moins’, de la paresse ou ‘puisque mon salaire est de toute façon assuré, pourquoi devrais-je travailler plus dur ? Pourquoi devrais-je faire quelque chose de plus, ça ne rapporte rien de toute façon ‘.

Au niveau international, les exemples ne manquent pas : le National Health Service en Angleterre ? Les hôpitaux publics espagnols ? Le système français ? Les pays scandinaves ? Les Pays-Bas ? Dans aucun pays ne vit la mentalité du ‘jusqu'ici, et pas plus, le reste n'est pas mon travail’. Les médecins généralistes en Angleterre (si vous parvenez à en contacter un) ne réfèrent pas les patients à des spécialistes. Les cabinets privés y prospèrent avec des consultations après 20 heures. Il n'est pas possible de pourvoir les emplois réguliers en raison du grand nombre de personnes inscrites sur des listes d'attente interminables pour des examens ou des opérations, ce qui entraîne des maladies de longue durée parmi le personnel en place.

Après 13 heures, on ne trouve plus aucun médecin dans les pays scandinaves, et aucun spécialiste dans les hôpitaux publics espagnols. Si la médecine est si bonne aux Pays-Bas (les enquêtes montrent que les patients néerlandais sont les plus satisfaits d'Europe), pourquoi les hôpitaux belges sont-ils remplis de Néerlandais riches et intelligents ? La question clé est la suivante : comment créer un équilibre qui soit stimulant pour le personnel tout en étant meilleur pour les patients et abordable ?

La solution est évidente. Nous devons évoluer vers un système de rémunération mixte pour l'ensemble du personnel. Un salaire de base, suffisant pour vivre correctement, mais complété par un revenu variable basé sur les performances. Et le paiement de la partie variable devrait être organisé par service, et non pour l'hôpital en tant qu’une seule entité. Et plafonnée : la partie variable peut atteindre jusqu'à 2 ou 3 fois le revenu de base.

Si le service a encore du budget, celui-ci est versé dans un fonds hospitalier commun pour soutenir les services moins bien lotis. Pour ceux qui ne le savent pas, un système similaire existait autrefois (dans les années ‘80) à l'hôpital universitaire de Maastricht. Ce système mixte signifie que tout le personnel peut en bénéficier : les infirmiers, le personnel logistique et les médecins. Il comprend toutes les prestations: les prestations cliniques, les revenus de la recherche scientifique, les dons et les activités d'enseignement.

Notre bonne médecine en Belgique - surconsommation ou pas - doit beaucoup à la rémunération à l'acte. Donnez à tous les médecins un salaire fixe (comme le proposent certains politiques) et vous pouvez oublier notre bonne médecine.

3. L'utilisation constante de mots à la mode tels que ‘évaluation’, ‘qualité’, ‘résultat’, sans mesures concrètes pour les mettre en œuvre efficacement

Si l'on veut mettre en œuvre un système de financement différencié (bâtiments et équipements distincts du personnel) et un système mixte de rémunération du personnel, un contrôle efficace des prestations et des résultats est nécessaire. Toute la publicité des hôpitaux (je ne trouve pas de meilleur nom pour cette pseudo-propagande qui circule constamment) est remplie de mots creux comme ‘qualité’, ‘résultat’, ‘évaluation’, ... mais en réalité, on n’en fait rien.

Un classement des hôpitaux et des médecins, comme il en existe déjà dans d'autres pays, est-il donc une si mauvaise idée ? C'est comme pour tout, on peut utiliser un couteau pour couper du pain, mais aussi pour tuer quelqu'un. Nous vivons à l'ère du numérique, où tout est mesurable. On peut directement déduire qu'avec certains médecins, les patients ne trouvent pas les réponses à leurs problèmes et doivent toujours chercher un deuxième, un troisième avis, parfois même plus.

Nous disposons de suffisamment de statistiques sur qui fait ou ne fait pas quelque chose (examens, interventions, chirurgies, ablations) et sur les résultats (le patient a-t-il dû subir une deuxième intervention ou être traité ailleurs pour la même chose), mais nous n'utilisons pas ces données.

Avons-nous peur des implications politiques, sociétales et financières de la vérité ? Ce système de surveillance doit être mis en place, géré et évalué par le personnel médical et paramédical. Les autorités ne sont ni plus ni moins qu'un assureur de la population. En tant qu'assureur, elles concluent un contrat avec la population, et non avec les médecins ou les infirmiers. En tant qu'assureur, les autorités peuvent poser des exigences, mais pas moins qu'une compagnie d'assurance privée ordinaire. Lorsqu'une compagnie d'assurance est juge et partie, le résultat est connu d'avance, ...

Les clés d succès ne sont pas simples, mais elles sont claires  

Concrètement, je vois les solutions suivantes:

  • Une différenciation dans le financement des équipements et du personnel
  • Des incitants pour le personnel via un système de rémunération mixte 
  • Une évaluation honnête des recettes et l’application de mesures correctrices sans immixtion politique.

Toutes les autres propositions sont condamnées à maintenir la spirale descendante actuelle du système. Vous ne le croyez pas ? Regardez les récents événements à Madrid autour des soins de santé publics : 200.000 personnes dans les rues pour protester contre le manque de soins médicaux. On ne trouve plus de personnel médical en raison des mauvaises rémunérations, de la démotivation et de l’immixtion politique.

Lisez la récente publication dans la Revista Española de Cardiologia sur l'emploi et la situation financière des jeunes cardiologues : 3 sur 4 pensent à faire autre chose ou à émigrer (il est intéressant de noter que les femmes cardiologues sont plus nombreuses que les hommes à le penser). Moins d'un sur six a un emploi fixe avant l'âge de 40 ans. Alors que 90% d'entre eux travaillent dans un système de salaire fixe, 3 sur 4 doivent exercer un autre emploi pour joindre les deux bouts. 75 % gagnent moins de 2000 euros bruts, oui, bruts, par mois. Et ce après 12 ans de formation !

Les naïfs diront que l'environnement de travail et les conditions de travail sont plus importants que la rémunération. Mais la rémunération fait également partie des conditions de travail. Ce facteur est apparu comme le plus important facteur d'insatisfaction chez les jeunes cardiologues. En deuxième position, il y a le fait de devoir reporter d'autres souhaits, comme le désir d'avoir des enfants (davantage chez les femmes).

Les crises anglaise, espagnole et autres montrent une fois de plus que le personnel médical et paramédical ne pratique pas une religion, mais un métier comme un autre. Allons-nous répéter ce désastre en Belgique avec l'abolition du système de rémunération à l’acte pour soi-disant faire des économies ? Ou allons-nous faire preuve de bon sens et appliquer les clés du succès pour de meilleurs soins de santé ? Le choix nous appartient, mais ne tardons pas, car nous avons perdu le Nord depuis bien trop longtemps...

Où trouver l'argent ? Les idées ne manquent pas. Un sujet pour un prochain blog.

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Pr Pedro Brugada Pr Pedro Brugada
Pr Pedro Brugada
Membre de l’équipe clinique de Rythmologie et directeur scientifique du Heart Rhythm Management Center

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